TOLERANCE ET FRATERNITE

Planche tracée par Robert MINGAM

 

 

 

En Franc Maçonnerie la tolérance c’est bien plus que supporter avec patience et bienveillance des personnes qui professent des idées ou manifestent des sentiments contraires aux nôtres mais ce n’est pas accepter ce qu’on ne peut pas ou ne veut pas empêcher.

 

Autrement dit il ne s’agit pas seulement pour le franc-maçon de supporter passivement des idées contraires ou différentes, mais, dans la mesure où elles respectent la liberté de pensée, de les recevoir activement pour écouter fraternellement dans un esprit de dialogue et de respect mutuel celui qui les émet et, éventuellement, le cas échéant, en nourrir sa réflexion.


Cherchant à progresser, le franc-maçon soumet au filtre de sa propre réflexion et de sa raison les idées avancées. Elles peuvent l’enrichir, faire évoluer sa pensée, ou bien, sans être acceptées, ne pas être subies passivement.


Par contre si les idées émises sont dangereuses et injustes il n’est pas question de les subir, de les « tolérer » au prétexte qu’on ne pourrait pas les empêcher. Notre tolérance n’est pas de celles qui acceptent l’intolérable. Il est hors de question de subir le racisme, les totalitarismes ou la corruption par exemple sous prétexte que « ça a toujours existé ? C’est dans la nature humaine ? On ne peut rien y changer ? ».


Pour nous est dangereuse ou injuste une idée qui contredit nos déclarations de principes bâties sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme et sur la Constitution de notre pays.
Nous avons pour règle de ne jamais subir mais de toujours agir.

 

Pas de tolérance pour les intolérants.

 

La tolérance est un terme équivoque qui peut indiquer une disposition d’esprit ou une règle de conduite consistant soit à laisser à chacun la liberté d’exprimer des opinions qu’on ne partage pas, soit à ne jamais défendre ses opinions en cherchant à les imposer. Cependant le terme reste faible et négatif. Il a souvent été stigmatisé comme passif et méprisant, l’esprit de tolérance devant, pour devenir positif, s’ouvrir sur l’esprit de justice et le respect de la personne.

 

Cependant, la tolérance fait partie des valeurs prônées par la Franc-maçonnerie, or au XVIIIe siècle, notre frère Goethe écrivait : « la tolérance ne devrait être qu’un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer, c’est insulter ». Alors, comment passer de la tolérance à l’acceptation de l’autre avec ses différences ?

 

La tolérance ne doit être qu’un état passager, et doit conduire à la reconnaissance. Dans son contexte, à l’époque où Louis XVI signait l’Edit de Tolérance, il était question de tolérer ceux que l’on ne reconnaissait pas comme complètement égaux. C’est pourquoi Goethe dénonçait le traitement que le pouvoir condescendait à donner à ceux qui par leur différence n’avaient pas la reconnaissance de fait. A son époque, la Franc-maçonnerie était un Ordre Initiatique traditionnellement réservé aux hommes, excluant les femmes, les esclaves et les ouvriers.

 

Tolérer, ce peut être  « insulter » quand on offre à sa bonne conscience le luxe d’admettre l’existence de celui qui ne menace pas l’exercice de sa domination. C’est aussi peut-être d’éviter le conflit et en en fait ne pas construire une vraie relation avec autrui.

 

La tolérance, du latin tolerare (supporter), est la vertu qui porte à accepter ce que l'on n'accepterait pas spontanément. C'est aussi la vertu qui porte à se montrer vigilant tant envers l'intolérance qu'envers l'intolérable. Encore aujourd’hui, il signifie « indulgence, compréhension, volonté de ne pas interdire ». Il est marqué par le sceau des pouvoirs théologiques et politiques.

 

La Franc-maçonnerie universelle s’est approprié ce terme, peut-être à défaut d’en trouver un autre, en tant que principe d’acceptation d’autrui et de compréhension dans les relations sociales ; il devient alors reconnaissance et respect mutuel. La tolérance y est une valeur capitale qui rejette le fanatisme, le dogmatisme et l’absolutisme. Pour Voltaire, c’est l’apanage de l’humanité. « Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs, pardonnons nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature ».

 

Basée sur la tolérance, la Franc-maçonnerie est riche de cette diversité confessionnelle et sociale qui s'épanouit dans une direction commune: celle de suivre chacun le chemin de perfectionnement qui lui est propre. Pour cela, elle fournit à chaque personne qui veut travailler sur elle-même les outils du Symbolisme et de la Tradition. Elle est une école de vie et un enseignement de conduite morale où chacun peut s’épanouir par lui-même.

 

Sur les seuils de tolérance, on trouve les limites éthiques et les limites collectives légales qui doivent s’exercer.

 

La Fraternité

 

La fraternité est le dernier mot de la devise inventée à la Convention par Robespierre en 1790 avant de devenir celle de la Franc-maçonnerie « Liberté – Egalité – Fraternité ».

 

La Franc-maçonnerie sous toutes formes se réfère constamment à la fraternité. Cependant, celle-ci est à priori la manifestation d’un acte délibéré. Car pour le Franc-maçon, être fraternel est une démarche volontaire, c’est d’abord un principe qui est respecté et qui se transforme progressivement en une seconde nature où la notion de devoir s’estompe pour ensuite laisser place spontanément à des qualités de cœur qui feront naître par la suite des liens affectifs très forts.

 

Selon la démarche initiatique qui est la nôtre, la Fraternité est un devoir. Nous  ne  choisissons pas nos Frères, mais paradoxalement, nous  sommes  choisis par eux. 

 

Pour les Maçons en général, la fraternité désigne le lien moral et affectif privilégié qui unit les Maçons et les oblige particulièrement. Mais cette fraternité maçonnique est essentiellement de source initiatique: elle n'a pas son fondement dans une communauté d'opinions ou d'intérêts, encore moins dans quelque convention sociale qui ferait que les membres du groupe s'efforceraient de se conduire mieux avec leurs "frères" qu'avec ceux qui ne font pas partie de la société maçonnique. La fraternité trouve sa source dans le fait que chacun par l'initiation s'engage dans une voie commune de recherche et de progrès spirituel. Chacun ainsi se trouve uni aux autres Maçons par l'expérience partagée d'un symbolisme vécu et éprouvé par le désir de tous de former une communauté initiatique. Par des voies souvent très différentes, les Maçons vont vers la Lumière, c'est leur souci commun. Que sur cette base naissent et se développent des amitiés personnelles très fortes, que les Maçons s'accordent à faire régner entre eux un climat de respect et d'affection réciproques, c'est évident. Mais la fraternité maçonnique est issue de l'initiation, elle en est une conséquence, elle n'est pas le simple résultat d'un désir commun de relations amicales.

 

La Fraternité maçonnique répond parfaitement à ce qu’écrivait Saint-Exupéry : « l'amour, ce n'est pas se regarder dans les yeux, c'est regarder ensemble dans la même direction". Et cette direction unique, c'est précisément le service de l'homme dans le monde. La fraternité initiatique du Franc-maçon se partage, elle se cultive par l’échange en Loge d’abord mais en « poursuivant à l’extérieur l’œuvre commencée dans le Temple ».

 

Ce qui unit les Francs-Maçons, bien au-delà des sympathies et amitiés interpersonnelles, c'est le processus d'accomplissement que chacun expérimente à chaque heure de sa vie d'homme en quête de perfectionnement et de création de soi. Cette Fraternité n'est pas une fraternité de comptoir ; elle est une Fraternité de combat. Combat contre soi, contre sa paresse, contre la bêtise et la barbarie, contre l'orgueil et la suffisance. Cette Fraternité nourrit une vraie solidarité entre Maçons. Mais cette solidarité n'est jamais copinage, affairisme, complicité malsaine, collusion, sous peine de sanctions et d'exclusion. C’est une fraternité qui permet de s’enrichir de chacun et de répondre concrètement aux problèmes que notre temps pose à chacun d’entre nous à travers la multiplicité des points de vue.

 

 

 

LA TOLERANCE

 

 

Vénérable Maître et vous tous mes Frères et mes Sœurs en vos Grades et Qualités,

 

Faisant suite au passage sous le bandeau de notre précédente tenue où je me suis senti très mal à l’aise, j’ai souhaité vous faire part de quelques réflexions personnelles concernant une des valeurs sur laquelle nous nous sommes tous engagés, la tolérance.

 

Sur ce sujet, Paul Claudel se serait exprimé en disant « La tolérance ? Mais il y a des maisons pour ça ». Effectivement, il n’avait pas tout à fait tort, bien que dans son esprit lubrique il s’agissait cette fois des hauts lieux en couleur qu’il fréquentait assidument au risque de contracter quelques désagréments sexuels, voir de maladies très en vogue à son époque.

 

Mais en y regardant de plus près « La tolérance ! Il y a des maisons pour ça ». Il y a la Franc-maçonnerie qui en a fait son crédo, voir son fond de commerce, en y joignant une idée force, la fraternité.

 

La tolérance est donc une valeur éminente sur laquelle les Sœurs et les Frères se sont engagés par serment. De l’intérieur, celle-ci renvoie au droit inaliénable de tout individu à penser conformément à ses propres conviction parce qu’il n’y a pas de vérité, de principe transcendant absolu. Si on en reste à ce premier niveau de réflexion, on trouve que le respect est une composante essentielle de la tolérance.

Pratiquement, le maçon, qu’il soit laïque ou religieux, se doit d’éprouver du respect pour toutes les idées qui s’expriment, à condition bien sûr que celles-ci ne s’avèrent source de conflits comme les sujets polémiques tels que la politiques ou la religion. Mais  bien sûr, la tolérance a des limites qu’il ne faut pas transgresser.

 

Si donc les règlements généraux précisent que certains sujets ne doivent pas être abordés en Loge, je m’étonne que des enquêtes destinées à faire voter sur l’admission d’un profane puissent faire état de sa sensibilité politique. D’autre part, je m’interroge sur la faculté de certains d’entre nous à laisser leurs métaux à la porte du temple.

 

Certes, démocratiquement, libre et de bonnes mœurs, chaque votant en son âme et conscience peut émettre une opinion favorable ou défavorable à l’encontre d’un candidat. Encore faut-il en avoir les moyens et faire preuve d’objectivité.

  • Les idées du candidat peuvent-elles représenter un danger pour la Loge ?
  • Les enquêteurs sont-ils digne de confiance et se sont-ils exprimés négativement ?
  • A-t-on posé de bonnes questions ?
  • Avons-nous acquis de justes convictions ?
  • L’intelligence du cœur a-t-elle primée sur notre intelligence politique ?
  • A-t-on précisément mesuré les conséquences de notre décision sur l’avenir de la Loge en général et sur celui du profane en particulier ?

Face à une personne amoindrie par une situation de stress et en quelques minutes seulement, qui peut être en  capacité de juger efficacement un être en désarroi ? Mais surtout, qui peut se permettre de désavouer les 5 personnes qui s’en portent garant ?  A moins d’être en possession d’éléments importants qui n’auraient pas été évoqués par les enquêteurs, peut-on à ce point mettre en doute la caution morale du Vénérable Maître et des Sœurs et Frères choisis par lui, qui individuellement se sont prononcés favorablement pour l’initiation du profane.

14 boules blanches, 14 boules noires. Une véritable exécution. Le monde aurait-il changé à ce point qu’il faille exclure quiconque exprime ses idées ? Quel exemple pour les Apprentis auxquels je m’applique à transmettre les valeurs de Tolérance et de Fraternité qui parait-il sont le ciment de notre institution !!! Faut-il que je remette en question ma propre hiérarchie des valeurs ?

 

Quelles conséquences pensez vous que ces votes vont peser sur l’harmonie et l’avenir de la Loge ? Qu’attendons-nous des profanes qui frappent à notre porte ? Qu’ils nous enrichissent de leurs différences où qu’ils reflètent nos idées étroitement conformistes ? La phrase désormais célèbre de notre Frère Antoine de Saint Exupéry affichée dans le grand escalier du temple du Grand Orient rue Cadet à Paris ne correspond t’elle plus à notre éthique lorsqu’elle exprime l’idée que « SI TU DIFFÈRES DE MOI MON FRÈRE, LOIN DE ME LÉSER, TU M'ENRICHIS »

N’oublions pas mes Sœurs et mes Frères, qu’une Loge qui n’initie pas est une Loge qui meurt, même si quantitativement elle paraît bien étoffée. Et s’il devient trop risqué de présenter un amis, un Frère ou son conjoint par crainte de le voir offensé par un vote ségrégationniste (1), alors nous serons condamnés à un immobilisme contraire à nos valeurs, et à celles de notre Ordre.

Je pense que pour vivre ensemble de manière plus fraternelle, nous devrions ne pas perdre de vue la phrase que dit le Premier Surveillant lors de la clôture de nos travaux : « que l’amour règne parmi les hommes ».

 

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1      (politique)   relatif au ségrégationnisme, pratique qui préconise ou applique la séparation des personnes selon des critères de race, de croyance ou de coutumes