APOLOGIE DE LA TOLERANCE
Planche tracée par Robert MINGAM
Concernant la tolérance ! Paul Claudel se serait écrié « La tolérance ? Mais il y a des maisons pour ça ». Effectivement, il n’avait pas tout à fait tort, bien que dans son esprit lubrique il s’agissait cette fois des hauts lieux en couleur qu’il fréquentait assidument au risque de contracter quelques désagréments sexuels, voir de maladies très en vogue à son époque.
« La tolérance ! il y a des maisons pour ça », la Franc-maçonnerie en a fait son crédo, voir son fond de commerce, en y joignant une idée force, la fraternité.
La tolérance est donc une valeur éminente sur laquelle les Sœurs et les Frères se sont engagés par serment. De l’intérieur, celle-ci renvoie au droit inaliénable de tout individu à penser conformément à ses propres conviction parce qu’il n’y a pas de vérité, de principe transcendant absolu. Si on en reste à ce premier niveau de réflexion, on trouve que le respect est une composante essentielle de la tolérance.
Pratiquement, le maçon, qu’il soit laïque ou religieux, se doit d’éprouver du respect pour toutes les idées qui s’expriment, à condition bien sûr que celles-ci ne s’avèrent source de conflits comme les sujets polémiques tels que la politiques ou la religion. Mais la tolérance a des limites qu’il ne faut pas transgresser.
Historiquement, ces limites étaient plus étroites qu’elles ne le sont aujourd’hui. Il était dit, dans l’article III des Constitutions d’Anderson, « qu’un maçon est obligé, par son engagement, d’obéir à la loi morale ; et s’il entend bien l’Art Royal, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. » Plus loin encore, « que les personnes reçues membres d’une Loge doivent être des Hommes bons et sincères, nés libres, d’âge mûr et discret, et non des esclaves, des femmes, ni des hommes immoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation. »
Athée stupide et libertin irréligieux au XVIIIe siècle signifiait que celui qui niait l’existence de Dieu n’était pas en capacité d’invoquer un quelconque principe créateur, fusse t’il nommé Grand Architecte de l’Univers. A cette époque, un homme réputé stupide était quelqu’un qui était rabaissé au niveau de l’animal (c'est-à-dire n’ayant pas d’âme). Quand au libertin irréligieux, c’était un libre penseur qui faisait foin des sentiments religieux et qui n’avait pas besoin du soutient de la religion. Pourtant, les constitutions d’Anderson font quand même preuve d’un certain esprit de tolérance quand elles précisent : « En effet elles indiquent que bien que dans les temps passés, les maçons fussent astreints dans chaque pays, de pratiquer la religion du dit pays, on estime désormais plus opportun de ne point leur imposer d’autre religion que celle sur laquelle tous les hommes sont d’accord ». Il suffit donc qu’ils soient des hommes bons et loyaux, gens d’honneur, et de probité, qu’elles que soient les confessions ou les convictions qui les distinguent.
Cependant, une certaine intolérance apparaît dans cette phrase, en ce qui concerne la qualité d’homme libre et surtout pour l’exclusion des femmes.
Pourquoi un esclave, c'est-à-dire un homme à qui on a tout pris, même sa liberté, n’aurait-il pas eu les qualités requises pour être franc-maçons ? Ce statut leur retirerait-il pour autant la possibilité de s’améliorer ? Pourquoi dans son célèbre discours de 1736 concernant l’interdiction faite aux femmes de devenir maçon, le chevalier André-Michel de Ramsay argumentait-il son propos en énonçant que « ce n’est point un outrage à sa fidélité ; mais on craint que l’amour entrant avec ses charmes ne produise l’oubli de la Fraternité. Nombres de Frères et d’amis seraient de faibles armes pour garantir les cœurs de la rivalité. » Celui-ci les excluaient-il par rapport à leur dépendance vis-à-vis de leurs conjoints ou parce qu’elles étaient femmes et qu’il se jugeait lui-même incapable de maîtriser ses bas instincts en leur présence ?
Que dire également de la règle qui régnait au XVIIIème siècle dite des B, qui mettait en évidence des « infirmités » considérées comme des obstacles à la réception maçonnique : bancal, bâtard, bègue, bigle (qui louche), boiteux, borgne, bossu, bougre (homosexuel)…
Mais aujourd’hui, chez nous, Frères tolérants et fraternels de l’Acacia, la porte de notre temple est-elle accessible à tous ? Sommes-nous prêts à accueillir tout homme libre et de bonnes mœurs ? Même s’il est pauvre, malade, muet, aveugle ou infirme ? Quelles sont les limites de notre tolérance ? Quels sont nos motifs d’exclusion ?
Le fric peut être ! Ce fric responsable de tous les maux de l’humanité. Le Smicart, le Rmiste, le SDF a-t’il une chance d’entrer chez nous ? Il peut être libre et de bonnes mœurs, avoir un Q.I. respectable et de ce fait, pouvoir participer à nos travaux sans problème, nous apporter ses connaissances. La valeur de ses raisonnements nous serait vraisemblablement très profitable, mais malheureusement à la sempiternelle question des frères enquêteurs « pourrez-vous payer vos cotisations ? » S’il répond « Non ! une partie peut-être, et en me privant terriblement » ! Quel serait le résultat de votre vote ? Bien sûr, nous ne sommes pas une œuvre de charité, mais ne nous priverions-nous pas d’une belle pierre qui rendrait notre édifice encore plus beau et plus solide ?
Un autre motif d’exclusion peut être, le handicap physique ! La franc-maçonnerie ses rituels, ses déplacements en loge sont-ils incompatibles avec un fauteuil roulant ? Un homme que la maladie ou l’accident a diminué pour toujours au regard de tous, n’a-t’il plus le droit non plus de s’élever parmi nous dans la sagesse et la recherche de lui-même ? Si l’initiation lui est interdite que fait-on du Frère en pleine santé à qui cela arrive ?
Je ne parle pas non plus de l’homme noble de cœur et d’esprit, parfaitement adapté à devenir une superbe pierre polie de belle qualité, mais non-voyant. De celui qui n’a pas de voiture pour venir en tenue : De celui qui a des horaires trop irréguliers dans sa profession pour être assidu : de celui qui n’a rien lu sur la Franc-maçonnerie : De celui qui s’est fait piéger pour des engagements politiques contraires à ceux d’une partie des membres de la Loge à laquelle il souhaite adhérer etc…
Non, je préfère parler de l’intolérance larvée et parfois endémique qui règne dans certaines Loges, qui excluent sans vergogne des profanes présentés par l’un de leurs membres. Des profanes qui ont eu l’aval du Vénérable Maître et de trois enquêteurs, mais qui, émus à l’extrême sous le bandeau et se sentant agressés de toute part par des questions parfois sans rapport avec leur démarche, n’ont pas su simplement s’exprimer.
Peut être qu’avant de désavouer les Maîtres qui ont cautionné la candidature du profane qui se présente à eux, les membres actifs en capacité de voter devraient-ils réfléchir sur les conséquences de leur vote.
Lorsqu’un membre de la loge, sous sa responsabilité pleine et entière, présente un profane, il s’est implicitement engagé à s’en porter garant.
Lorsqu’un Vénérable s’entretien avec le dit profane, il procède à une première estimation de ses capacités à se fondre dans l’égrégore de sa Loge. Il s’informe sur ses motivations et le bien fondé de sa démarche, lui faisant part des conséquences de son engagement, avant de présenter sa candidature aux membres de son atelier.
Lorsqu’un Maître enquêteur est nommé, celui-ci se doit de réunir et de rapporter un maximum d’informations sur le profane, permettant à chacun des membres de sa Loge de se faire sa propre opinion sur l’opportunité de cette candidature. A la fin de son rapport, l’enquêteur peut donner un avis qui, s’il est positif ou négatif, peut influencer le vote qui va sanctionner son travail.
Trois personnes présumées posséder la confiance de leurs Sœurs et Frères sont investis de cette responsabilité. Trois avis autorisés qui, lorsqu’ils se rejoignent pour cautionner la candidature du profane, attestent et garantissent du sérieux de sa démarche.
Le candidat peut alors passer l’épreuve du bandeau.
Sur les colonnes, censés avoir laissé leurs métaux à la porte du temple, les membres de la loge approfondissent de leurs questions les points qui leur ont semblé digne d’intérêt. Peut être se rappellent-ils alors leur propre passage sous le bandeau et leur incapacité à s’y exprimer, leurs angoisses aussi, malgré les paroles apaisantes du Vénérable Maître. Etaient-ils meilleurs ou pires que celui qu’ils interrogent aujourd’hui ?
Puis démocratiquement les boules blanches et noires sont distribuées.
- Les idées du candidat peuvent-elles représenter un danger pour la Loge ?
- Les enquêteurs sont-ils digne de confiance et se sont-ils exprimés négativement ?
- A-t-on posé de bonnes questions ?
- Avons-nous acquis de justes convictions ?
- L’intelligence du cœur a-t-elle primée sur notre intelligence politique ?
- A-t-on précisément mesuré les conséquences de notre décision sur l’avenir de la Loge en général et sur celui du profane en particulier ?
C’est en son âme et conscience que le maçon doit chercher le sens de son vote.
14 boules noires sont comptabilisées. Une véritable exécution. Personnellement, j’ai du mal à comprendre et surtout à admettre que des Sœurs et des Frères puissent s’être permis de déjuger 5 membres de leur propre Loge sans avoir à s’en expliquer.
Alors aujourd’hui mes Sœurs et mes Frères, j’ai mal à ma maçonnerie. Pas n’importe laquelle ! Celle qui a accompagné ma quête depuis presque 40 ans. Dans cet ordre que j’aime et que je respecte pour ses valeurs de tolérance et de fraternité, je dois admettre que je n’ai jamais connu autant de boules noires sous le bandeau qu’à l’ACACIA. Le monde aurait-il changé à ce point qu’il faille exclure quiconque exprime ses idées ? Faut-il que je remette en question ma hiérarchie des valeurs ?
Qu’attendons-nous des profanes qui frappent à notre porte ? Qu’ils nous enrichissent de leurs différences où qu’ils reflètent nos idées étroitement conformistes ? La phrase désormais célèbre de notre Frère Antoine de Saint Exupéry affichée dans le grand escalier du temple du Grand Orient rue Cadet à Paris ne correspond t’elle plus à notre éthique lorsqu’elle exprime l’idée que « SI TU DIFFÈRES DE MOI MON FRÈRE, LOIN DE ME LÉSER, TU M'ENRICHIS »
C’est une lourde responsabilité que celle d’accueillir de nouveaux membres. J’en conviens et la vigilance est de mise contre tout extrémisme pouvant gangréner notre société. Cependant, évitons de systématiquement sanctionner des candidats pour leur sensibilité politique ou religieuse. A ce propos, je vous rappelle que la dernière candidate qui s’est présentée à nos votes et s’est fait blackboulée, n’était pas seulement qu’une élue d’opposition dans une mairie communiste, mais qu’elle a passé la moitié de sa vie à aider son prochain dans des œuvres sociales et caritatives…
D’autre part, n’oublions pas qu’une Loge qui n’initie pas est une Loge qui meurt, même si quantitativement elle paraît bien étoffée. Et s’il devient trop risqué de présenter un amis, un Frère ou son conjoint par crainte de le voir offensé par un vote ségrégationniste, alors nous serons condamnés à un immobilisme contraire à nos valeurs, et à celles de notre Ordre. Souffrons également, qu’à quelque degré que légitimement vous convoitez, des Sœurs et des Frères ne s’opposent pas à votre progression pour de mauvaises raisons. Tolérance et Fraternité sont, parait-il, le ciment de notre institution !!!
Je crois que pour vivre ensemble de manière plus fraternelle, nous devrions ne pas perdre de vue la phrase que dit le second Surveillant lors de la clôture de nos travaux : « que l’amour règne parmi les hommes ».
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