CE N'EST QU'UN AU-REVOIR MES FRERES

Planche tracée par Robert MINGAM

 

 

Au terme de la cérémonie d’augmentation de salaire, le nouveau Compagnon muni de son bâton de pèlerin va franchir la porte de sa Loges pour porter au-dehors le sens des valeurs qu’il aura acquises au sein de son atelier, et partager son expérience de Franc-maçon avec des Sœurs et des Frères sur d’autres chantiers.

 

Pour lui, cet émouvant départ se double d’une certaine exaltation, puisqu’il vient d’acquérir la faculté de se déplacer seul dans l’univers franchisé de l’Ordre maçonnique international. Pour la Loge qui l’a reconnu apte à la représenter, c’est une marque de confiance. C’est l’espoir de le voir revenir un jour, plus riche des enseignements glanés durant ses voyages, prêt à accéder à la maîtrise, celle qui le conduira vers de nouveaux devoirs.

 

Ce n’est qu’un au-revoir mon Frère… Je me souviens de cérémonies singulières, notamment au Droit Humain, dans la Loge « La Clé de Vie » à l’Orient de Paris, rue Jules Breton, où le départ du nouveau Compagnon faisait l’objet d’une rituélie. Je ne sais plus à quelle version du rituel cette Loge se conformait, mais compte tenu de sa localisation au siège de la fédération, celle-ci devait naturellement avoir reçu l’aval du Suprême Conseil.

 

Après avoir subit les différentes épreuves qui, à l’image d’une feuille de route proposée à ses sens, lui avaient suggérées des pistes à suivre pour ses prochains voyages, le nouveau Compagnon était conduit entre les colonnes, où faisant face à l’étoile tracée sur le sol, il recevait l’enseignement du pas mystérieux de son nouveau grade.

 

La marche du Compagnon, ce pas de côté que l’impétrant était appelé à intégrer dans son processus de reconnaissance maçonnique, peut avoir différentes significations selon qu’on l’appréhende du point de vue ésotérique ou exotérique. Symboliquement, ce quatrième pas écarte le Compagnon de la voie tracée initialement par les trois pas de l’Apprenti, et l’invite à voyager. Les cartouches découverts lors de son cheminement initiatique lui suggèrent de possibles réflexions sans pour autant ne lui en imposer aucune.

 

Le pas de côté vers la gauche, symbolisant l’imagination, marque l’action exploratrice du Compagnon qui va désormais prospecter dans toutes les directions (Orient, Occident, Midi, Septentrion, mais aussi Nadir et Zénith) pour se mieux connaître et s’ouvrir au monde. Il a désormais 5 ans, et comme les enfants de son âge il va développer sa personnalité et ses compétences. Il sait lire et écrire, mais par prudence, il n’expose et argumente ses points de vue qu’a bon escient (je ne puis prononcer le mot sacré, mais je l’épèlerais avec vous !). En développant ses cinq sens (la vue, l’ouïe, le gout, l’odorat et le toucher), en s’instruisant des cinq sciences fondamentales (grammaire, géométrie, mathématique, logique et l’astronomie), en découvrant les cinq ordres d’architecture (le toscan, le dorique, l’ionique, le corinthien et le composite) et en se référant à la philosophie de cinq Grands Initiés (Moïse, Solon, Pythagore, Socrate et Confucius), il va pouvoir poursuivre son voyage intérieur. Apprenti il s’était donné pour but la connaissance de soi, Compagnon il aura pour objectif la construction du soi par son perfectionnement.

 

Son cinquième pas dirigé vers la droite et le pied à l’équerre, symbolise la raison. Il va lui permettre de revenir dans l’axe initial de la Loge, lui rappelant que la voie de sa recherche de vérité et de lumière emprunte le plus court chemin, c'est-à-dire celui de l’Orient. Le nombre 5 qui désormais sera le sien, est celui de l’équilibre, de l’harmonie et de la quintessence, en fait l’âme de toutes choses. Le nouveau compagnon, en s’identifiant à ce nombre s’identifie lui-même à l’âme de la Franc-maçonnerie, avant d’en acquérir l’esprit.

 

Mais revenons à ce rituel si particulier qu’utilisait, et utilise toujours aujourd’hui, la Loge de « La Clé de Vie » au Droit Humain à l’Orient de Paris.

 

Faisant suite à la cérémonie qui consacrait l’impétrant à son nouveau degré, s’instaurait un dialogue entre le Vénérable Maître et les Officiers en charge d’accompagner le Compagnon vers son nouveau destin.

 

Frère Secrétaire, le Compagnon est-il prêt ?

Il n’a point de bissac Vénérable Maître !

Frère Secrétaire, faites votre devoir !

Celui-ci portait le bissac au nouveau Compagnon, l’en munissait et disait : « Puisses-tu supporter d’un cœur vaillant les fardeaux de la vie ».

Frère Orateur, disait encore le Maître de la Loge, le Compagnon est-il prêt ?

L’Orateur répondait alors : « Il n’a pas d’outils Vénérable Maître ! ».

Frère Maître des Cérémonies, faites votre devoir !

Ce dernier munissait le Compagnon des outils de son grade, et l’Orateur disait : « C’est en faisant bon usage de tes outils que tu marcheras à l’Etoile ! ».

Frère Hospitalier, interrogeait toujours le Maître de la Loge, le Compagnon est-il prêt ?

Vénérable Maître, il n’a point de viatique !

Frère Maître des Cérémonies, faites votre devoir !

Le Maître des Cérémonies portait alors au Compagnon le pain du voyage, et l’Hospitalier disait : « Si malgré tes mérites, tu manquais un jour de pain, souviens toi que nous sommes Frères ».

 

Dans certains autres Rites, du vin, du sel et un miroir sont ajoutés à ce viatique. Le terme même de viatique, renvoie au sacrement de l’Eucharistie administré à un chrétien en danger de mort afin de l’aider à subir l’ultime initiation que le profane appelle la mort. Il rappelle également la pièce de monnaie que, dans la Grèce antique, on mettait dans la bouche des morts pour payer à Charon (le passeur d’âme, pas la ville où réside notre Vénérable Maître) pour payer dis-je, leur passage du Styx. (En effet, selon la légende, lorsqu’un humain s’éteignait dans l’antique Grèce, son âme descendait au royaume des morts ; elle arrivait en un lieu marécageux, l’Achéron, au milieu duquel circulait un fleuve, le Styx ; elle devait traverser marécages et fleuve).

 

Frère Orateur, interrogeait à nouveau le Maître de la Loge, le Compagnon est-il prêt ?

Vénérable Maître, sa marche sera longue, il aura besoin d’un bâton de voyageur !

C’est alors que le Vénérable Maître remettait lui-même une Canne au Compagnon et lui disait : « Qu’il te soutienne aux heures de lassitude et te défende à l’heure du danger ! ».

 

Puis, le Premier Surveillant frappant un coup de son maillet disait alors: « Le Compagnon est prêt Vénérable Maître ! »

 

Le Vénérable Maître, à son tour, frappait un coup de son maillet et ordonnait : « Debout et à l’Ordre ! ».

 

Les deux Surveillant s’armaient de leurs glaives.

 

Alors le Vénérable Maître interpellait le Frère Compagnon en disant : « Frère nouveau Compagnon, voici l’instant du départ, je ferais avec vous les premiers pas ».

 

Faites face à l’Occident !

 

Puis il se rendait entre les colonnes et s’adressait au nouveau Compagnon. « Frère Compagnon, nous vous avons confié les secrets du grade que nous a transmis l’antique sagesse de l’Ordre. Nous vous avons nantis du bissac, des outils, d’un viatique et du bâton des voyageurs. Vous ne feriez que peu de progrès cependant si vous n’étiez soutenu par l’affection de tous vos Frères. En gage de celle-ci, il me reste à vous donner l’accolade fraternelle ».

 

En lui donnant l’accolade, le Vénérable Maître murmurait à son oreille : « Va et que la Lumière de l’Etoile Flamboyante illumine ton chemin ».

 

Puis, accompagnant le Compagnon jusqu’à la porte il lui disait : « Et maintenant, mon Frère Compagnon, allez, puissiez vous revenir capable d’un chef d’œuvre digne d’un Maître ».

 

C’est alors que dans certains atelier Les Sœurs et les frères de la Loge accompagnaient le Compagnon du chant de l’au-revoir !

 

Faut-t’il nous quitter sans espoir, sans espoir de retour !

Faut-t’il nous quitter sans espoir, de nous revoir un jour !

 

Ce n’est qu’un au-revoir, mes frères, ce n’est qu’un au-revoir !

Oui nous nous reverrons mes frères, ce n’est qu’un au-revoir !!!

 

Formons de nos mains qui s’enlacent au déclin de ce jour,

Formons de nos mains qui s’enlacent une chaîne d’Amour.

 

Ce n’est qu’un au-revoir, mes frères, ce n’est qu’un au-revoir !

Oui nous nous reverrons mes frères, ce n’est qu’un au-revoir !!!

 

Les portes d'airain étaient ouvertes lentement par le Frère Couvreur. Le Maître des Cérémonies conduisait le Compagnon hors du Temple. Le Vénérable Maître faisait quelques pas à leur suite. Lorsqu'il arrivait à la hauteur des Surveillants, ces derniers croisaient leurs glaives pour l'arrêter.

 

Le Vénérable Maître levait alors le bras en signe d'adieu.

 

Hors du Temple, le Maître des Cérémonies  invitait le Compagnon à se retourner vers ceux qu'ils quittaient. Le Maître des Cérémonies rentrait en fermant lentement les portes avec le Frère Couvreur.

 

Les lumières diminuaient lentement. Le Vénérable Maître laissait tomber lentement les bras. Les Surveillants l'imitaient. Le Maître des Cérémonies, le Vénérable Maître, et les Surveillants méditaient.

 

Les lumières se rallumaient lentement. Lorsque la pleine lumière était revenue, le Vénérable Maître sortait de sa méditation et regagnait son plateau d'un pas décidé.

 

Installé à nouveau dans la Chaire du Roi Salomon, il frappait un coup de maillet en disant : « Prenez place mes Frères ».

 

Pour avoir vécu cette émouvante cérémonie, je peux vous assurer qu’elle est restée gravée dans la mémoire de tous ceux, Compagnons et Maîtres qui y participèrent.

 

Bien sûr, à l’issue de cette rituélie, le Nouveau Compagnon se re-présentait à la porte du temple, et était reçu rituellement pour clôturer les travaux.

 

Durant toute une année, et peut être plus, le Compagnon voyageait. Sa destination n’était pas un lieu mais un nouvel état de conscience. Bien sûr il allait pouvoir, et même devoir, parcourir d’autres horizons, mais c’est en lui, et non sur lui, qu’il devait éprouver ces nouveaux outils. C’est aussi pour les partager qu’il devait acquérir ces nouvelles connaissances qui feront de lui un Maître digne de transmettre son savoir. Le Compagnon ne se contente pas de marcher dans la direction de l’Orient. Il va de chantier en chantier s’ouvrir à l’intelligence du monde pour trouver les moyens de son émancipation. Il part pour accomplir un périple et s’accomplir lui-même.

 

Lorsqu’un an plus tard, peut être plus, le Compagnon aura reçu l’aval de ses pairs pour être exalté au sublime grade de Maître, une autre adjonction au rituel de réception lui imposera peut être d’avoir à créer un chef d’œuvre. C’est alors que dans sa Loge, après s’être acquitté d’une Planche de passage, le Compagnon sera placé entre les colonnes où il présentera l’œuvre de son choix, en en expliquant l’origine et en la faisant circuler de main en main. Puis, après avoir répondu aux questions d’usage concernant son instruction et la connaissance des Règlements qui régissent notre Ordre, les Maîtres se réuniront en Chambre du Milieu pour voter.

 

Bien sûr, afin de limiter la durée des tenues, soit pour favoriser le temps du travail, soit pour hâter l’heure des agapes, ce rituel fut peu à peu modifié puis oublié et enfin remplacé par d’autres, bien plus courts. Le fait d’avoir proposé des accommodements tels que des options facultatives, peut malheureusement être facteur de dissensions préjudiciables à l’harmonie des Loges qui, composées de Sœurs et de Frères de sensibilités différentes, pourraient se reconnaitre, soit dans l’une ou soit dans l’autre de ces propositions.

 

Avant de s’entredéchirer sur l’opportunité de choisir tel ou tel rituel, il convient toujours de s’interroger sur le résultat que nous souhaitons obtenir. Cette cérémonie, dans sa plus simple expression, peut être vécue comme une simple et décevante formalité. Cependant, au même titre que l’initiation au Premier Degré, elle peut marquer à tout jamais la mémoire de celui qui la subit, ne serait-ce que par l’émotion qu’elle peut susciter.

 

Ce n’est qu’un au-revoir mon Frère. Sur les premiers chemins de traverses qu’il va rencontrer, l’expérience sera toujours au rendez-vous. Riche de promesses il nous reviendra, prêt à contribuer à la pérennité de sa Loge Mère en occupant des plateaux, et à accompagner tous ceux qui, selon leur grade seront à même de partager avec lui cette fraternité initiatique qui nous apporte à tous, la Sagesse, la Force et pourquoi pas la Beauté d’un temple intérieur harmonieux.

 

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