LA CHAÎNE INITIATIQUE
Planche tracée par Robert MINGAM
Un élément qui apparaît de façon redondante dans l'histoire des sociétés initiatiques est celui de la filiation ou chaîne initiatique. Il n'est pas une société qui ne se réclame d'une filiation historique ou d'un grand ancêtre fondateur.
L'identification à cette filiation, à cette charte, à cette "patente" semble être le seul biais par lequel un groupement d'hommes puisse se faire reconnaître comme authentique puisque traditionnel.
Pourtant, cette filiation réelle ou mythique ne préjuge en rien de la qualité des travaux qui sont accomplis sous son couvert. Tout au plus garanti t'elle l'accès à une sorte de label " société traditionnelle" sans pour autant qu'on puisse préjuger d'un quelconque contenu.
Nous sommes généralement confrontés à la toute puissance de l'histoire. Ceci est encore plus vrai dans la société occidentale et plus généralement dans les civilisations de culture livresque. Les sociétés de tradition orale se rapprochant de l'histoire définie comme une mémoire ou un référentiel collectif qu'à une histoire établie et prouvée de façon scientifique.
C'est l'histoire légende, l'histoire saga, l'histoire conte. Nous avons donc d'une part des sociétés établies dans un cadre historique ou supposé tel et d'autres parts, une nébuleuse de sociétés dites "sauvages" qui au mieux se réclament d'une même vision fédératrice.
Le concept de chaîne initiatique s'appuie sur un certain nombre d'hypothèses qui méritent un temps d'arrêt.
On pourrait de façon caricaturale les énoncer ainsi: Il existe un événement primordial qui fonde les valeurs de la société. Ces valeurs sont transmissibles. La qualité de la transmission dépend de la filiation directe.
Et donc en conclusion : l'établissement formel d'une filiation prouve la conformité du corpus doctrinal ou pratique d'une société avec l'expérience d'origine.
Reprenons ces points l'un après l'autre.
Les sociétés initiatiques se réfèrent de manière constante à un événement fondateur. Cet événement s'appuie sur l’histoire, sur un mythe parfois et le plus souvent sur les deux.
Cet événement fait référence à un personnage charismatique ou divin, parfois à un groupe de personnes.(Jésus, Mahomet, Hiram, Akhenaton, les templiers, les rose-croix…).
L'événement , l'histoire ou le mythe sont représentatifs d'un ensemble de valeur ou d'un enseignement, propres à définir un corpus doctrinal. Ces valeurs peuvent être morales, spirituelles, prophétiques ou pratiques…
Si l'on se cantonne au point de vue strictement pragmatique on peut avancer ceci:
D'un point de vue historique, on peut imaginer retrouver une trace de l'événement en question (naissance de Jésus, traces de l'activité des templiers ou des tailleurs de pierre..).
Les évènements historiques qui fondent une société peuvent être appréhendés de deux façons: une façon strictement scientifique: le constat des faits lié à des preuves matérielles. Et une interprétation qui lie les faits à des valeurs. C'est cette interprétation des faits qui accompagne le mythe fondateur. Reprenons un exemple, l'histoire pourrait nous confirmer l'existence en Palestine au début de notre ère d'un homme nommé Jésus, cet homme avait un comportement qui pourrait le classer dans la catégorie des prophètes. Cet homme a été supplicié par l'occupant romain.
L'interprétation de ces faits relève du mythe à partir de l'instant où l'on pense que Jésus était d'origine ou de nature divine, qu'il dispensait un enseignement moral ou spirituel et que sa mort (voir sa résurrection ) fut un événement signifiant pour l'humanité.
Cette interprétation ne repose plus sur des faits mais sur une croyance, il ne s'agit plus d'histoire mais de mythe.
Les choses seraient différentes si nous avions conservé des traces directes de l'enseignement de Jésus, des écrits de sa main par exemple. La tradition chrétienne nous invite à croire que les évangiles sont le reflet de la pensée et des actes de Jésus, mais il s'agit là encore d'un mythe qui repose sur la foi.
En guise de conclusion partielle on pourrait dire que si l'histoire peut nous apporter les preuves d'un événement, c'est le mythe par les valeurs qu'il véhicule qui fonde la tradition.
Voyons à présent ce qu'il en est de la transmission. A supposer qu'un individu ou qu'un groupe d'individu actualise à un moment donné un certain nombre de données qui dépassent celles de la conscience habituelle on dira qu'il transcende le principe de réalité.
On parle alors de révélation, de vision, voir de vision prophétique. Qu'est ce qui peut en être transmis? La vision elle même ? Les valeurs morales ou spirituelles qui en découlent ? Une technique ?
Nous aurions tendance à penser que seule une technique, donc un ensemble de comportements reproductibles peut faire l'objet d'une transmission, sachant que là encore on doit penser cette transmission comme un apprentissage. Apprentissage d'une méthode, donc susceptible d'être améliorée au fil du temps ( tenant compte de l'évolution naturelle du milieu).
Tenter de transmette une vision, de transmettre des valeurs est déjà beaucoup hasardeux. La perte de sens, la relative imprécision du langage, l'évolution des signifiants sont des phénomènes courants.
Conclusion partielle: La référence au modèle fondateur n'a pas de sens, dans la mesure où elle ne peut être qu'une interprétation liée à l'esprit du temps. Si le principe porte sur une technique, la modélisation de peut se concevoir que dans le cadre d'un processus évolutif.
La transmission se fait par transmission directe (filiation). Ce mode de transmission est valable dans la tradition orale, dans le cadre d'une transmission matérielle ou dans le cadre d'un apprentissage technique. Appliqué au domaine de l'ésotérisme, on aura : la transmission d'une clef ( décryptage), d'une initiation qui doit dés lors devenir effective pour être transmise à son tour ( c'est à dire aboutir à une transformation / évolution réelle de l'initié) et enfin d'un apprentissage technique (opératif) qui s'apparente alors à la tradition orale. En dehors de ces cas de transmission directe la filiation est un rattachement symbolique ( égrégore..) qui n'est efficient que si les individus concernés s'approprient (s'identifient) le mythe fondateur.
Conclusion partielle: le mode de transmission par filiation n'est valable que dans le cadre d'une transmission directe et partiellement dans le cadre d'un rattachement symbolique. Dans les deux cas, rien ne garanti la conformité par rapport au modèle d'origine.
Conclusion : toute société ésotérique est à la croisée entre un mythe fondateur, lié de façon plus ou moins lointaine à des évènements historiques et la nécessaire actualisation de son discours sur le monde. La chaîne symbolique qui relie les hommes par delà le temps et l'espace constitue l'égrégore, ( la personnalité collective) de la société en question.
La société occidentale par son obsession de la preuve historique et par sa tradition livresque considère que la charte, le document matériel est la seule preuve d'une authenticité qui garantirait une certaine conformité au modèle original.
Par ailleurs et en arrière plan subsiste le mythe de l'âge d'or, celui qui consiste à penser que tout était mieux à l'origine et que le respect la tradition, (le traditionnalisme ?) est une garantie de qualité. Si le mode de transmission directe, (apprentissage) garantit le bénéfice lié à l'accumulation d'expérience, il n'est pour autant valide que sur le plan technique ou méthodologique. Sa nature même suppose qu'il puisse s'éloigner de l'expérience primitive en gagnant en efficacité.
Ainsi l'apprentissage technique de l'alchimie bénéficiera des apports techniques et conceptuels de la chimie moderne.
Lorsque la tradition porte sur un dogme, sa nature l'empêche d'évoluer de façon positive, l'évolution ne se fait alors que dans le cadre d'un processus entropique. Désagrégation des valeurs d'origines, mauvaise compréhension, détournement de sens, intolérance.
Pour illustrer ceci, essayons de comprendre comment le message du Christ a pu engendrer l'inquisition.
La recherche d'une filiation historique, n'a de sens que dans la mesure où elle repose sur un mythe, une croyance qui nous amène à penser le temps est générateur de progrès. On peut l'admettre dans le cas où le temps permet le cumul de l'expérience. Mais ceci suppose naturellement que chacun des maillons de la chaîne ait réalisé en son temps l'actualisation de l'événement fondateur. Dit plus simplement, il faut tout au long de la chaîne que l'élève égale ou dépasse son maître. Dans le cas contraire le temps n'est que vieillissement.
A contrario, nous croyons à la possibilité permanente pour chacun d'accéder à une vision originale. Cette vision, cette illumination, cette initiation effective dépend de l'état d'avancement d'un individu plus que de son inscription dans une tradition. L'ésotérisme nous amène à considérer non pas chacune des traditions particulières mais le fond commun de toutes les traditions comme étant un élément constitutif, un archétype des potentialités d'évolution de l’humain. A celui qui se rattache au principe premier, il n'est pas besoin de patente ou de document historique. Pour les autres, il s'agit d'autant de leurres, de miroirs aux alouettes qui donnent l'illusion de se confondre avec le mythe fondateur ou du moins avec une lignée d'ancêtres prestigieux.
La tradition ésotérique est une tradition qui porte sur un mode de pensée, un ensemble opératoire assez éloigné du dogme officiel. Classiquement l'hermétiste, le magicien, l'alchimiste sont des marginaux, poursuivis par les églises parce que non respectueux du dogme officiel. L'ésotérisme ne repose pas sur la foi (elle n'en est cependant pas totalement absente), mais sur la connaissance qu'il se doit d'adapter au temps.
Sa devise pourrait être celle de Gautama:" Ne crois en rien parce qu'on t'aura montré le témoignage écrit de quelque sage ancien. Ne crois en rien sous l'autorité des Maîtres ou des Prêtres. Mais ce qui s'accordera à ton expérience et après une étude approfondie satisfera ta raison et tendra vers ton bien, cela tu pourras l'accepter comme vrai et y conformer ta vie ".
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