LE LIVRE BLANC
Parler du Livre Blanc c’est parler du livre. Et si l’amour des livres, (comme l’amour tout court d’ailleurs), se passe aisément d’explications, le choix du livre blanc, amène différentes interrogations auxquelles je vais tenter de répondre.
Pourquoi le livre blanc ?
Que représentent les «Trois Grandes Lumières» dans la symbolique maçonnique ? Et en quoi me ressemble-t-il ?
L’étymologie nous renseigne sur les matériaux employés à l’origine pour la fabrication des livres. Le mot latin «liber», d’où est issu le mot livre en français, désignait initialement une couche fibreuse au-dessus de l’écorce de l’arbre.
Un sens analogue se retrouve dans le grec «biblos» qui a donné bible, le livre par excellence.
Enfin, l’anglais book et l’allemand buch, qui désignent aussi le livre, renvoient à la même racine indo-européenne que le mot bois en français.
On aurait donc dans la fibre végétale, ou l’écorce de l’arbre, une des matières qui ont servi de support à l’écriture.
Le blanc, quant à lui, peut être apparenté au blanc de l’aube où la voûte céleste réapparaît, vide encore de couleurs, mais riche du potentiel de manifestations, dont microcosme et macrocosme se sont rechargés pendant le passage dans le «ventre nocturne », source de toute énergie. L’un descend de la brillance à la matité, l’autre de la matité à la brillance.
En eux-mêmes ces deux instants, ces deux blancheurs, sont vides, suspendues entre essence et présence, entre lune et soleil, entre les deux faces du sacré.
Le peintre Kandinski a mieux que quiconque exprimé cela. Le blanc que l’on considère souvent comme une non couleur est comme le symbole d’un monde où toutes les couleurs, en tant que propriétés de substances matérielles, se sont évanouies…
Le blanc sur notre âme agit comme le silence absolu. Ce silence n’est pas mort, il regorge de possibilités vivantes.
C’est un «rien», plein de joie juvénile ou, pour mieux l’exprimer, un «rien», avant toute naissance, avant tout commencement.
Ainsi, progressivement, se produit un changement, et le jour succédant à la nuit, l’esprit s’éveille, et celui-ci va proclamer la splendeur d’une blancheur qui est celle de la lumière.
Le silence et l’accès à la lumière ne sont-ils pas les premiers pas de l’initiation de l’apprenti ? C’est peut-être pour cette raison, entre autres, que le sujet du libre blanc m’a interpellée.
Lors de notre initiation, nous prêtons serment sur un livre considéré comme sacré, ce qui fait revêtir à notre engagement un caractère solennel et irrévocable. Ces serments sont prêtés sur le volume de la Loi Sacrée, afin que celui qui les prononce, s’engage par rapport à lui-même, du plus profond de son être, et sur ce qu’il a de plus sacré.
Le livre de la Loi Sacrée fait partie des «Trois Grandes Lumières». L’expression «Trois Grandes Lumières» désigne l’association et la présence sur l’autel, de la bible, de l’équerre et du compas. Cette expression pourrait faire penser à un modèle symbolique ternaire, mais il n’en est rien. Du point de vue symbolique, il s’agit d’un modèle binaire, formé par l’équerre et le compas, mais non pas par le livre, qui en lui-même, n’est pas un symbole.
Aux temps originaires de la Franc Maçonnerie opérative, et même plusieurs siècles plus tard, les maçons associèrent la règle au compas et à l’équerre, plutôt qu’à un livre. En ces temps-là, le plus grand nombre ne savait pas lire, et la bible n’était accessible qu’à l’état de manuscrit, aussi rare que coûteux. Sa détention était donc exceptionnelle.
Même, plus tard avec l’invention de l’imprimerie au 15ème siècle, cet état de fait ne changea pas. La possession et la lecture d’une bible n’était accessible qu’aux gens instruits et fortunés.
La présence de la Bible sur un autel en loge ne pouvait être vue de la même façon par les profanes qui venaient à la Franc Maçonnerie avec une éducation réformiste, et par ceux qui vivaient dans le contexte de la contre-réforme.
L’abolition de la présence de la Bible sur les autels décidée par les obédiences d’Europe centrale fut une des raisons de la rupture entre les obédiences.
Le Frère Davidson du Grand Orient des Pays Bas, lors de la réunion des Grands Maîtres en 1958, confirma que pour être accueilli dans la Convention de Luxembourg, par livre sacré, il ne fallait ni entendre la constitution d’Andersen, ni un livre blanc, mais que ce livre devait avoir une «sainteté» reconnue et admise par tous.
En tant que volumes de la Loi Sacrée, sont seuls considérés comme valables : la bible, pour les chrétiens et les israélites, le Coran pour les musulmans, mais aussi les textes bouddhiques, les védas, les écrits classiques de Confucius.
Par Grand Architecte de l’Univers, on peut donc concevoir un principe créateur sous bien des aspects.
Pour les anglo-saxons, la question est depuis toujours résolue : c’est la Bible. Ils ont fait un «Landmark» de ce point particulier. Les Landmarks, ou bornes, sont des règles particulières, au nombre de huit, imposées par la Maçonnerie anglo-saxonne. Si cette règle n’était pas observée, l’obédience réfractaire serait déclarée irrégulière.
D’autres ont émis la suggestion d’un livre qui serait composé de tout ce qu’il y a de plus sage, de plus pur, de plus saint, de plus héroïque, de plus noble, dans chacun des livres qui servent de guide à la vie de l’esprit. Nous aurions ainsi sur l’autel maçonnique une réunion, ou plutôt une anthologie des textes ésotériques qui forment le fondement des différentes traditions.
Par-là, se trouverait souligné l’universalisme de la Maçonnerie.
Le livre blanc, pour sa part, ne fait pas l’unanimité, certains Francs-Maçons ne manquant pas de le critiquer….
Ainsi, Arnaud Bédarride conteste l’idée même de livre blanc, qu’il qualifie de «vain simulacre». Oswald Wirth, lui, voit dans le libre blanc, «un livre muet, un ersatz de la bible, et une aimable fantaisie».
Ces avis semblent quelque peu excessifs, et faire preuve d’un certain manque d’ouverture d’esprit.
L’idée du livre blanc peut séduire quelques Loges, car il symbolise on ne peut mieux, la liberté de croyance, de conscience, ou de pensée. Chacun est libre d’y inclure ou d’y projeter ce qu’il considère comme sacré pour lui. Enfin, il induit collectivement l’acceptation réciproque des croyances individuelles, et au-dessus de cela, la coexistence tolérante des différences de conscience.
La notion de livre, objet dans lequel les feuilles sont reliées entre elles, n’est pas sans évoquer l’idée de réunion de ce qui est épars. Nous retrouvons alors la chaîne d’union, symbole de l’union de tous les initiés à la surface de la terre. Le livre blanc prend ainsi une résonance universelle.
Fils de la lumière. Les Francs-Maçons travaillent dans une loge où la lumière est présente sous différentes formes et sous différents noms.
Ce symbole cependant, est particulièrement mis en valeur par les «Trois Grandes Lumières» dont l’identification est fondamentale pour bien préciser la nature de la quête initiatique.
Deux textes du 18eme siècle retiennent une approche différente.
Dans le premier texte les «Trois Grandes Lumières» sont représentées par la bible, l’équerre et le compas. La bible pour gouverner et diriger notre foi ; l’équerre pour mettre nos actions d’équerre ; et le compas pour nous maintenir dans de justes bornes envers tous les êtres humains.
Mais le second texte, offre une symbolique tout à fait différente. Les «Trois Grandes Lumières» sont représentées par le Soleil, la Lune et le Maître de la Loge.
Un certain nombre de loges ont donc adopté la bible ou volume de la Loi Sacrée comme l’une des «Trois Grandes Lumières».
Les obédiences de tendance religieuse considèrent même cette bible comme obligatoire . D’autres acceptent que l’on mette en place tout autre livre considéré comme sacré.
Cette attitude paraît toutefois plus confessionnelle et partisane qu’initiatique L’initiation a pour but, entre autres, de nous élever au-dessus de tout dogmatisme, et de nous écarter des vérités révélées, source, depuis des temps immémoriaux, d’intolérance et de fanatisme.
Cette idée de volume de la Loi Sacrée ne correspond peut être plus à l’idéal initiatique des bâtisseurs, dès lors qu’elle revêt une apparence figée. Le livre blanc par contre peut répondre à cet idéal.
Les «Trois Grandes Lumières» dans le second texte sont le Soleil, la Lune et le Maître de la Loge. Or qui est le maître de la loge. Pas seulement le vénérable Maître, selon l’ancienne maxime « Montrer la règle, c’est montrer le Maître». Et les «Trois Grandes Lumières», qui sont des symboles non humains sont souvent incarnés dans la symbolique et dans les textes par la règle, l’équerre et le compas.
Selon la tradition, c’est le Dieu Thot, maître de la connaissance et de la langue sacrée qui créa la première règle et en révéla l’usage aux bâtisseurs. Et c’est de cette règle que sont issus le temple, mais aussi les autres outils utilisés par les bâtisseurs : l’équerre et le compas, le niveau et la perpendiculaire.
La règle est l’axe autour duquel s’organise et se développe l’œuvre de création.
Dès son entrée dans la loge, l’apprenti découvre l’importance de la notion d’angle et d’équerre, notamment lorsque les signes d’ordre et de reconnaissance lui sont révélés. Dans les mise à l’ordre comme dans la démarche rituelle, il s’agit d’être vraiment debout et de bien marquer l’angle afin d’être d’équerre.
Dans le temple, aucune pierre n’est identique à une autre. C’est leur assemblage selon la règle qui donne force et cohérence à l’ensemble. Mais toutes les pierres sont reliées entre elles par une unité, l’amour fraternel.
La richesse symbolique des outils révélés à l’apprenti est inépuisable. Si l'accent est mis sur la perpendicularité, c’est pour bien rappeler l’ancienne maxime des bâtisseurs selon laquelle l’homme est naturellement tordu, et ne pratique pas spontanément la rectitude. Aussi la perpendiculaire apparaît elle comme un remède à la dispersion et au désordre qui affecte le profane.
L’Apprenti travaille sur la colonne du Nord, depuis sa réception dans le Temple. Ses premiers mois dans la loge sont longs et difficiles. Parfois, il a l’impression d’être livrée à lui-même. Il attendait tant de révélations, et voici qu’il se retrouve déconcerté face à l’incompréhension de cet enseignement, auquel il avait pourtant tant aspiré. Soucieux néanmoins de s’astreindre au travail de cette pierre brute, symbole de son état d’imperfection, c’est au fur et à mesure de certaines lectures, d’échanges, du travail en loge, que s’approfondit en lui le désir d’apprendre.
Sa façon de voir aujourd’hui ne sera plus tout à fait la même. Par exemple, il ne lira plus Jonathan le goéland de la même façon qu’autrefois…
Depuis son initiation, il ne sait ni lire ni écrire, mais seulement épeler. Astreint au silence, ce qui est riche en enseignements, il observe avec intérêt ceux qui l’entourent, ce qui se passe autour de lui. Il a tant de choses à comprendre.
Le livre blanc peut séduire l’Apprenti par toutes les potentialités qu’il contient. L’idée même de liberté, de diversité, de libre choix, peut s’accorder avec sa façon d’être, ou de vivre sa vie. Cependant, nous sommes dans un Ordre Traditionnel dont les rites et les symboles ont un sens initiatique précis. En remplaçant l’une de ses Grandes Lumières par un objet sans vie, ne risque-t-on pas de changer l’esprit qui règne depuis des siècles sur cette noble institution ?
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