LE SILENCE
Planche tracée par Robert MINGAM
SILENCE dit le dictionnaire, est un mot d'origine latine datant de 1190, il comporte deux sens principaux. Le premier se rapporte aux êtres, le second se rapporte, pour sa part, aux éléments.
Le fait de rester sans parler par mutisme ou pathologie, l'aphasie donne le sens concret du mot. Le sens abstrait est le fait de ne pas exprimer son opinion et donc l'attitude d'une personne qui ne veut pas ou qui ne peut pas s'exprimer. Cette deuxième attitude est de loin la plus courante. Elle est déterminante car elle définit le silence comme étant un acte actif et non passif. D'ailleurs le silence parle: ne dit-on pas parfois d'un silence qu'il est éloquent ?
Max PICARD disait: " en chaque silence il y a quelque chose qui parle ". C'est pourquoi on peut citer les expressions suivantes: un silence discret, timide, bienveillant, réservé, approbateur, désapprobateur, respectueux, méprisant, religieux, oppressant etc etc, beaucoup d'activités dans ses silences... Il convient également d'évoquer la loi du silence qui est bien plus qu'une simple parole allègrement et hâtivement prononcée, et la majorité ou minorité silencieuse faite d'autres silences...
Au regard des auteurs le silence revêt des aspects émotionnels, liés au comportement. Ainsi Marcel PROUST analysait-il admirablement dans le cadre de l'amour ce que peut-être le silence qu'il définit comme une force, un supplice pour définir finalement " le désert réel du silence sans fin ".
VERCORS évoque le silence commue attitude d'abord face à l'étranger, résistance passive et digne devant les affirmations de l'intrus, ému au montent de l'adieu dans « les silences de la mer ».
Saint EXUPERY pour qui le silence est avant tout le signe de la qualité a écrit " 1’homme c'est ce qui est, non point ce qui s’exprime ».
Le silence s'impose de lui-même au centre de la réflexion philosophique comme la condition, le soutien de l'âme de la pensée qui se recueille. La notion de silence permet de marquer à l'intérieur même de la parole, une distance entre l'acte et le dire. Si au cours de discussions, des malentendus, des sous-entendus rendent vaines les conclusions, un point d'accord existe cependant dans le retour au silence qui marque notre commune référence à l'être.
Psychologiquement il existe des silences: le silence du refus ou de l'acceptation, de la perplexité ou de la discrétion, de la haine ou de l'amas, du mépris ou de l'admiration, de l’âme en prière.
Le silence se présente ainsi soit sous des aspects positifs soit sous des aspects négatifs, mais c'est bien sous un aspect positif qu'il est retenu pour caractériser l’expérience métaphysique.
Quant aux formes multiples de l'aspect positif du silence, elles permettent par leur variété de faire ressortir la richesse de l'expérience métaphysique à travers la simplicité. Pourtant le silence n'est pas l'objet même de la métaphysique mais l'acte intérieur de la réflexion philosophique. Sans vouloir tenter une confusion des genres cette réflexion issue de silences permet au moins de cerner d'un peu moins loin le mystère de l'existence.
Dans le monde profane, les outils de travail se construisent avec le temps et avec l'expérience. Cependant, il existe un seul outil puissant qui peut conduire à la réflexion personnelle, c'est le silence.
En vivant continuellement dans le bruit, les gens finissent par ne plus supporter le silence. Ils parlent fort, crient, bousculent des objets, se manifestent bruyamment sans tenir aucun compte de la gène qu'ils occasionnent et surtout, coupent la parole et ne savent plus écouter. Cette forme d'égoïsme très préjudiciable à leur propre évolution, génère chez ceux qui en sont les victimes, une agressivité permanente, voisine de la folie.
C'est pourtant en vivant le silence que l'on devient conscient de soi, et que l'on développe de nombreuse qualités dont on est le premier à bénéficier, telles la délicatesse, la sensibilité, la bonté, la générosité, l'harmonie etc.
Si entendre c'est être capable d'écouter, cette aptitude qui consiste à faire preuve d'assez de disponibilité pour se consacrer à l'autre, est loin d'être acquise.
Dans le silence, il n'y a plus de possibilité de se raccrocher à ce que disent ou pensent les autres; on est confronté à son propre point de vue. Il faut se référer à ses propres sentiments et références. Le silence n'est pas vide de sens, il n'est pas absence. En amenant les individus au constat que le silence n'est pas une fuite mais au contraire un moment de réflexion privilégié, en transformant les tentatives d'isolement en recherche silencieuse, en utilisant les réflexions, les émotions issues de ce silence, il est facile de faire percevoir et comprendre en quoi le silence est le plus intense moment de communion entre les individus qui le partagent. Le silence ne permet pas de rompre le discours silencieux de l'autre. Et rien n'empêche de parler de ce qui ne parle pas: la parole le dit mais ne le contient pas. (citation de Comte Sponville " toute parole vrais, et elle seule, garde en elle le silence de son objet, qui la sauve de l’erreur de l'interprétation ou du mensonge").
Parole et silence paraissent s'exclure. Le silence n'est-il pas absence ou cessation de parole ? Cependant le silence, subi ou consenti, peut être aussi expressif que la parole, mais la parole dans l'acte qui la constitue, présuppose un fond silencieux sur lequel elle se forme.
La liaison de la parole et du silence ne tient pas uniquement à des procédés de style souvent très significatifs. La parole est liée par son être même à un silence fondamental où elle puise la plénitude de son sens.
Le rôle du silence transparaît dans la parole. Toute parole proférée est rythmée par des silences qui symbolisent la vie intérieure et qui la scande. Ils ne sont pas des vides, mais la continuité spirituelle du sens, à travers la discontinuité des mots. Le silence correspond à une condition psychologique: il marque pour l'orateur le moment où il pense à ce qu'il va dire et pour l'auditeur le moment où il accueille le sens des paroles transmises. Sans la fragmentation du discours, et ses retours au silence, la réception serait inintelligible.
BERGSON a dénoncé la pauvreté du langage parce que la fonction sociale et mercantile des mots ne leur permet pas d'être appropriés à la subtilité et à la richesse des sentiments. Dans ces conditions, se taire pour l'apprenti maçon, c'est aussi laisser ses métaux à la porte du Temple.
Le silence sur les colonnes, est une des contraintes nécessaires que doivent s'imposer les Apprentis maçons. Apprendre à écouter, retenir l'envie d'intervenir pour vivre les symboles et les assimiler.
En effet, comment peut-on assimiler de nouvelles règles de vie, de nouvelles connaissances sans un minimum d'attention voir de méditation.
Entendre est un processus naturel qui n'est pas contrôlable. A condition que nos oreilles ne soient pas endommagées et que notre cerveau fonctionne normalement, nous sommes dans l'obligation d'entendre. Cependant, entendre n'est pas écouter: seule l'écoute est volontaire. Nous écoutons lorsque nous le voulons. D'ailleurs ne dit-on pas qu'il n'y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.
La difficulté de l'écoute vient d'abord du fait que nous pensons beaucoup plus vite que nous ne parlons. Notre cerveau pense à grande vitesse et les mots ne lui parviennent que très lentement. Nous écoutons un peu et nous rêvons beaucoup alors que nous devrions utiliser ce temps supplémentaire pour analyser consciencieusement, donc activement, ce qui nous est soumis.
Pour ce faire, avant d'aborder un entretien, d'écouter un exposé ou de participer à une réunion, il convient de se débarrasser de ses préoccupations personnelles afin d'être, le plus totalement possible, à l'écoute de ses interlocuteurs. Ces préoccupations personnelles que symboliquement nous nommons les métaux, doivent être laissées à la porte du temple.
Etre présent c'est aussi exister pour l'autre et pas seulement faire acte de présence. Ecouter c'est adopter une attitude dynamique afin d'être aux aguets du discours de l'autre. Il ne devrait pas y avoir de distrait car la communication n'est pas un phénomène à sens unique. L'orateur et l'auditeur sont à égalité et se respectent. L'un s'exprime pour exister, l'autre écoute pour acquérir. En Maçonnerie, tout comme dans la vie profane, il faut partir du postulat que tout contact est source d'informations nouvelles, et que c'est notre soif de savoir, notre envie de comprendre qui nous aideront à capter l'intégralité du message.
Apprendre à écouter les autres c'est cesser de n'écouter que soi. C'est accepter que leurs idées, leur conception de l'existence, leurs réactions, leurs sentiments puissent être à l'opposé des siens. Cette nécessité de reconnaissance du droit à la différence est primordiale dans la philosophie Maçonnique. Par contre, tout bon maçon doit savoir que l'autre est semblable à lui-même, qu'il parle une même langue et qu'ils peuvent donc se comprendre au travers du symbole. C'est un état d'esprit qui interdit la critique comme l'accord total.
Pour être efficace, l'écoute doit se faire sur deux niveaux. Il convient d'analyser d'abord ce que les mots, le contenu, le sujet traité signifie mais ensuite, et surtout, il faut s'attacher au non verbal, c'est-à-dire aux divers signes émis parallèlement au discours: intonation, gestes, expressions du visage, postures... il faut écouter les sentiments transmis. Cette double lecture est une école de patience et de longue attention. Les gens se cachent sous de nombreux masques et multiplient les défenses, mais ce qui est dit dépasse toujours les mots. Il faut du temps pour décoder ce que les autres ont à transmettre, et cette première année de silence est bien insuffisante pour en comprendre le sens.
Plus on est évolué, plus on a besoin de silence. Etre bruyant n'est pas un bon signe. Combien de gens font du bruit à seul fin d'attirer l'attention pour qu'on les remarque. Faire du bruite est pour eux une façon de s'affirmer, de montrer qu'ils sont là. Il faut qu'ils sachent que les tonneaux vides sont ceux qui font le plus de bruit: c'est à cela qu'on remarque immédiatement leur présence. Ils vont partout en faisant un bruit assourdissant qui révèle leur insuffisance et leur médiocrité.
Ce n'est pas le silence qui divise les hommes. Pour faire connaissance, le silence et l'Observation sont parfois plus éloquents que la parole. Observer les gens et leur comportement révèle immédiatement leur éducation, leur caractère leur tempérament et leur degré d'évolution. Tout est dit dans la façon dont ils se présentent et parlent. Certains parlent comme si le silence les gênait, comme pour combler un vide par des paroles et par des gestes, pour couvrir ou cacher quelque chose, comme s'ils redoutaient que le silence puisse révéler ce qu'ils voudraient justement camoufler. A peine vous les rencontrez, il faut qu'ils racontent immédiatement toutes sortes d'histoires pour imposer une certaine idée d'eux-mêmes, des autres ou des évènements. Peut être parlent-ils pour faire connaissance, mais s'ils se présentent sous leur meilleur jour, ils n'écoutent pas les autres. Le silence imposé les oblige à prendre conscience de leurs dissonances et de leur désordre intérieur.
Le bruit retient l'homme dans les régions psychiques inférieures: il l'empêche d'entrer dans ce monde subtil où le mouvement devient plus facile, la vision plus claire, la pensée plus créatrice. Le bruit est l'expression de la vie, mais pas des degrés supérieurs de la vie, il révèle plutôt une imperfection dans la construction ou le fonctionnement des êtres et des objets. Le silence est toujours l'indice d'un perfectionnement.
Le silence est le langage de la perfection, alors que le bruit est l'expression d'une défectuosité, d'une anomalie ou d'une vie qui est encore désordonnée, anarchique et qui a besoin d'être maitrisée, élaborée. Le silence est un facteur d'inspiration et de création philosophique qui permet au travers d'une véritable vie intérieure de réviser son existence, réfléchir et tirer des leçons. Parler n'est pas réfléchir, mais exprimer une pensée.
Alors Dieu habite t'il le silence ? En tous cas il ne peut mieux attester sa présence que dans la discrétion de ce silence où il laisse l'homme libre de sa réponse à l'interrogation qu'il lui pose par son silence même.
Le silence est un processus intérieur qui conduit les êtres vers la lumière et la véritable compréhension des choses. Il est l'expression de la paix, de l'harmonie et de la perfection. C'est la pensée qui dirige, qui réalise et qui crée. Cependant il ne faut pas confondre la pensée et l'agitation de l'intellect. Entasser du savoir sans rien appliquer est stérile et inutile.
Le but de la vie spirituelle n'est pas d'essayer pendant quelques heures par mois de rétablir le lien avec son esprit et ensuite d'oublier en se laissant reprendre par le vacarme de l'existence. Dans la science initiatique, la compréhension n'est pas séparée de la réalisation. Si nous n'arrivons pas à réaliser ce que nous prétendons avoir compris c'est que nous n'avons pas réellement compris.
La vraie magie ne consiste pas à agir sur les autres mais d'abord sur soi. On ne peut entrer dans une école d'initiés si on n'a pas au préalable su travailler sur l'harmonie. C'est sur quoi travaille l'apprenti et c'est pourquoi il doit chercher en lui la source de sa spiritualité. Le silence est l'outil indispensable de cette révélation. Car sil ne peut prendre part au débat qui s'instaure entre tous les Frères, il lui reste la faculté d'instaurer un débat avec lui-même… peut-être le plus riche pour l'instant, puisqu'il enseigne la sagesse, le calme et la maîtrise.
L'Apprenti est doublement astreint à la loi du silence maçonnique. En tant qu'Apprenti, lors de travaux en loge, lorsqu'il observe un silence d'observation et de réflexion. En tant que Frère parmi d'autres lorsque par les signes il confirme maintes fois pendant les travaux qu'il aimerait mieux avoir la gorge coupée que de révéler les secrets qui lui ont été confiés.
Le problème réglementaire du silence maçonnique n'est que son premier aspect, l'autre plus ésotérique et à facettes multiples devient de plus en plus important au fur et à mesure que le silence vécu ajoute des dimensions nouvelles à notre imaginaire.
Le silence du recueillement, au sens maçonnique propre, librement accepté, est pacifiant et unifiant parce qu'il manifeste une communauté où chacun se retrouve, en même temps que son intériorité, sa profonde connaturalité à ce qui est. L'acte de silence n'est pas uniquement le refus de se disperser, il est le retour à ce refuge intérieur où chacun, en retrouvant son propre sanctuaire, découvre ce mystère de l'intériorité commun à chacun des autres.
Le silence, c'est d'abord celui qui entoure la maçonnerie face aux profanes, protégeant la libre expression à l'intérieur du Temple. En y pénétrant l'Apprenti doit déjà partager le premier secret et garder le silence sur l'initiation maçonnique pleine de symbolisme .à méditer. C'est en écoutant que l'on passe du signifiant au signifié en se servant de la raison et de l'intuition, et que l'on découvre la richesse des rites, des règlements et des symbolismes divers utilisés dans le but unique de la réflexion et du perfectionnement.
Dans la loge, l'Apprenti apprend à être à l'aise avant de parler. Il s'initie à la parole prudemment "donnez moi la première lettre, je vous donnerai la suivante ".
Le silence de l'Apprenti n'est qu'extérieur car, à 1'intérieur, il est plein de pensées et d'affects pour observer, raisonner et déduire. Pendant ce temps, il doit apprendre le comportement conforme aux Rites et règlements. Et surtout ce qui est le plus difficile, le langage de Fraternité qui permet aux Frères d'aborder dans les loges tous les sujets avec la tolérance réciproque, parfois aller au-delà de la tolérance, cultiver la différence qui enrichit les francs-maçons.
Lors de la lecture d'une planche, il convient de se dépouiller de ses métaux avant de l'écouter en toute sérénité. La maçonnerie est peut-être le dernier lieu où on discute avec des arguments et en prenant le temps d'écouter l'autre, en silence attentif.
Sur les chantiers du Moyen âge, les Frères de la Maçonnerie opérative partageaient les secrets de l'élévation des cathédrales, tout en gardant le silence face aux profanes.
Le secret maçonnique couvre aujourd'hui tout ce qui se fait et se dit entre l'ouverture et la fermeture rituelle des travaux en loge. Ces travaux, c'est probablement la façon de construire les cathédrales d’aujourd'hui, en préparant l'avènement de la société, mieux éclairée, en commençant par soi-même.
Celui qui n'a pas la patience et le talent de pénétrer certaines vérités simples, dans le silence et le secret de son cœur, n'aura pas non plus le talent d'en tirer partie en l'apprenant oralement et sans peine. Car ces vérités sont incommunicables par le langage seul, sans un vécu. Le silence passé en réflexion n'est jamais perdu.
On peut considérer que l'une des premières tâches, le premier éclat qui jaillira de la Pierre Brute du nouvel âge est la recherche de son moi à travers une attitude de médiation et d'écoute d'un ensemble de comportements à caractère rituélique. Le silence ainsi imposé est assimilé au fil à plomb du deuxième surveillant, instrument destiné à la détermination de la verticale mais aussi la sollicitation de l'Esprit à descendre et à monter en approfondissant la connaissance de soi, nous découvrons alors nos propres faiblesses et nous élevant au-dessus de la platitude nous excusons celles des autres.
Le fil à plomb représente ce cas extraordinaire de la perpendiculaire qui entraîne vers le centre, vers le bas pour mieux élever. Le bijou du 2e surveillant est l'idéation, le sur-symbole de la descente matérielle qui fut imposée au profane dès son premier contact avec la maçonnerie.
Cette invitation au voyage intérieur est renouvelée sans cesse, en particulier lors des cérémonies de passage et d'élévation. Il faut s'imaginer qu’une vague et superficielle introspection n'amènerait que peu de résultats, peu d'éclats de Pierre, mais ne saurait dégager le " vieil homme ".
Retourner plus souvent dans le cabinet de réflexion, c'est retourner en soi et tenter d'atteindre la plénitude. Dégrossir la Pierre Brute est une tache de longue haleine mais il faut se fortifier de ce qu'écrivait Oswald Wirth: « s'interdire de parler pour s'astreindre à écouter est une excellente discipline intellectuelle lorsqu'on veut apprendre à penser ». Les Francs-maçons à la fréquentation régulière des Loges se façonnent un type particulier d'altruisme, le support fraternel leur fera sentir d'autres responsabilités.
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