LA SPIRITUALITE MACONNIQUE

 

 

Peut-on aujourd’hui réellement parler de spiritualité maçonnique tant le contexte est à ce point variable en fonction des sensibilités de chacun. Affirmer haut et fort qu’il pourrait exister un courant unique de pensée au sein de nos Ordres, serait nous faire suspecter d’appartenir à une église, voir à une secte. Certes, comme dans bon nombre de religions, nous utilisons des Rites et des Rituels. C’est du reste pourquoi la Franc-maçonnerie fut suspectée d’hérésie et frappée d’excommunication par la papauté. Mais contrairement à l’ostracisme des pouvoirs en place, qu’ils soient civils ou religieux, qui pour conserver leur pouvoir ont toujours imposé une certaine forme d’obscurantisme, nos rites, qui ne sont pas libertaires mais démocratiques, n’ont jamais eu pour but d’introduire un culte aliénant les libertés individuelles, mais bien au contraire, de développer ce que chacun porte en lui de spiritualité latente.

 

Les dictionnaires précisent que la spiritualité distingue l’esprit de la matière, et que l’action de spiritualiser, que ce soit un objet ou un texte, est d’en convertir le sens littéral en un sens allégorique. C’est ce que la méthode initiatique de la Franc-maçonnerie suggère, en se fondant sur l’observation et l’identification aux outils utilisés par les bâtisseurs d’autrefois. Dans son rituel du premier degré, le Rite Ecossais a choisi de se différencier des voies conduisant vers une spiritualité religieuse, en identifiant l’homme à la matière, et l’outil à la complexité de sa conscience. En comparant l’humain à son œuvre, elle utilise certains symboles ayant appartenus aux compagnons bâtisseurs des grands édifices publics et religieux du moyen âge. On peut y voir la Bible et le temple de Salomon se mélanger avec des outils d’opératifs (Maillet, ciseaux…), les chevaliers (épée), les alchimistes (sel, souffre, mercure), les astronomes (soleil, lune, la voute étoilée). Tout ceci n’est pas un grand bazar, mais un système de représentation, un système permettant a tous, et partout, de pouvoir s’interroger, de travailler sur soi, de dépasser les vérités et la réalité trop concrète de la vie profane. Confrontés à tous ces symboles, nous gardons notre libre arbitre pour adhérer ou ne pas adhérer aux nombreuses interprétations de ceux qui nous sont proposés.

 

Parmi eux, la Lumière est le plus récurent, peut-être même le plus spirituel des symboles évoqués dans notre Rituel du Premier degré. Il tend par paliers successifs, à comparer l’éclairage progressif de la Loge à celui de notre esprit. Plus qu’une méthode, cette incitation à s’identifier aux symboles est une technique permettant à chacun de progresser à son rythme, en utilisant son propre potentiel, et en faisant appel à son vécu, à son imagination.

 

Car un symbole est avant tout une image subliminale projetée sur le conscient. Perçu comme un message, il peut se décrypter à l’envie, se conjuguer sur divers plans, sans pour autant jamais s’affirmer comme « la vérité » mais comme une voie, un chemin, menant de transcendance en transcendance vers une certaine évolution de la conscience.

 

L’initiation que nous avons tous vécue, et les symboles qui nous entourent, nous incitent au dépassement de soi, en spiritualisant la matière sur laquelle nous travaillons, c’est–à-dire sur nous-mêmes.  C’est vraisemblablement pourquoi les Apprenti maçons, ceux sur qui reposent les fondements de l’Ordre, travaillent sur la pierre brute. Ils sont le corps d’une franc-maçonnerie de tradition initiatique qui pourrait remonter à plusieurs millénaires, peut être même à l’origine du premier entassement de pierres édifié par l’homme pour se créer un abri de fortune. C’est par eux, et pour eux que se pérennise l’esprit de la Franc-maçonnerie. La Loge qui les a reçus le jour de leur initiation aux premiers mystères de la Franc-maçonnerie, est une matrice au sein de laquelle ils continueront de puiser leurs racines, quel que soit le degré de perfectionnement qu’ils auront atteint.

 

Le rituel du premier degré auquel ils seront toujours soumis, ne semble pas différencier la Loge du Temple qui l’abrite et qui, par définition est un édifice sacralisé (1). A l’ouverture des travaux, après les précautions d’usage quant à la reconnaissance maçonnique des membres présents, puis de l’illumination du Temple et des invocations, le Vénérable Maître (2) précise : « Nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé nos métaux à la porte du temple, élevons nos cœurs en Fraternité et que nos regards se tournent vers la Lumière».

 

Le monde Profane

 

Du latin « pro » qui signifie devant, et « fanum » le temple, le profane est donc celui qui, n’étant pas initié aux mystères qui s’y déroulent, ne peut pénétrer dans le Temple. Les travaux prennent alors un caractère sacramentaire (3) puisqu’étymologiquement, comme le précise le dictionnaire, le monde profane s’y oppose à celui du sacré. Cependant, le sacré n’évoque pas nécessairement un état de religiosité dans le sens dogmatique du terme, car en se conformant à des préceptes basés sur des valeurs morales, les maçons sont engagés par serment solennel à suivre certaines règles qualifiant leur appartenance à un Ordre auquel ils se sont librement affiliés. Un Ordre qui généralement repousse toute idée de révélation, et qui prétend ne se fonder que sur les lumières naturelles de l’esprit humain et la simple conscience.

 

Nous ne sommes plus dans le monde profane ! Symboliquement, l’apprenti maçon travaille sur des réalités concrètes. Le point de départ de son engagement spirituel est sa capacité à se remettre en cause. Il se compare à la matière dont il extrait l’esprit, mais comme cet enfant de trois ans qu’il fut un jour, il apprend d’abord à se mieux connaître, ne serait-ce qu’au travers du regard des autres. C’est le GNOTHI SEAUTON, le « Connais-toi toi-même et tu connaîtras la nature et les dieux » inscrite au fronton du Temple d’Apollon à Delphes. Qu’est ce que je suis vraiment, en réalité, pas ce que je voudrais paraître ou ce que je voudrais faire semblant d’être ! Qu’est-ce que les autres pensent de moi ! Comment je fonctionne intellectuellement, émotionnellement, physiquement ! La véritable Liberté intérieure, celle qui permet de mener à l’action, ne peut réellement s’acquérir qu’après avoir fait ce travail d’introspection et ainsi, avoir pris conscience de ses propres limites. Pour se réaliser, pour se construire, pour se dépasser même, et donner un sens à sa vie, l’homme se doit d’acquérir les rudiments d’une morale basée sur le respect de soi, et le respect de l’autre (ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse). C’est pourquoi l’apprentissage des valeurs de la vie communautaire, qui peu à peu sociabilise et transforme en sagesse ce qui ne s’enseigne pas mais se transmet d’Initié à Initié, est nécessaire à l’éveil d’une conscience collective basée sur l’amour de son prochain.

 

Ensuite viendra la connaissance du monde. Celle des Arts et des sciences qu’il nous revient d’enrichir de nos perfectionnements. C’est l’âme de la Franc-maçonnerie inscrite et gravée dans l’œuvre de nos prédécesseurs. Qu’est-ce que je suis face à l’Univers, face aux lois qui en régissent l’ordonnance, comment trouver ma place dans ce monde qui m’entoure, parce que je ne suis pas tout seul ! Certains symboles semblent nous aveugler et suggérer des questionnements métaphysiques comme l’invocation au Grand Architecte de l’Univers. Peut être nous permettent-ils de réfléchir sur les fondements de nos superstitions, et de s’investir dans une quête spirituelles à partir d’une imagerie somme toute assez rationnelle. Comprendre ce que la nature nous enseigne, s’ouvrir à la connaissance et au savoir est le propre de l’homme (après le rire bien entendu car je ne voudrais pas contredire Aristote, voir Rabelais dans son célèbre Gargantua). Observer est le point de départ de toute activité scientifique. Fondement de tout grand progrès, l’esprit scientifique dont se réclame la Franc-maçonnerie, n’aurait-il pas pour origine une certaine audace de l’imagination ? Cependant, si la conscience humaine est l’essence même de l’âme de chaque individu, apprendre sans penser serait apprendre sans comprendre. C’est pourquoi, comme l’écrivait encore Rabelais, « la science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Plus que la science en elle-même, c’est l’inconscience de ses éventuels dérapages, tout comme sa diffusion par des médias irresponsables, qui peuvent être dangereuses. Pour mémoire, quand  Albert Einstein découvrit qu’on pouvait obtenir de la fission des atomes une énergie inégalable, il ne se doutait certes pas que son invention, allait tuer des millions de personnes.

 

Dans la troisième phase de développement spirituel du Maçon viennent conjointement, l’action qu’il pourrait mener dans le monde et  la naissance de son être intérieur. Celui qui commence à apparaître, celui qui se connait, qui connait le monde et qui a une certaine habitude d’entrer en son for intérieur, dans son Cabinet de Réflexion. A ce stade, il peut commencer à sentir qu’il peut y avoir en lui un être différent, et cet être différent va petit à petit se redresser, il va commencer à vivre. On va le nourrir d’expérience et de questionnement, et tout naturellement, il va s’élever vers l’Esprit. C’est l’évolution de la conscience, le chemin et le but de toutes les Initiations.

 

Grâce à ce travail qu’il aura effectué sur lui-même, et aux connaissances profanes, voire spirituelles qu’il aura en conscience, su acquérir et sublimer, que le maçon sera à même d’œuvrer efficacement pour le progrès de l’humanité, but suprême de notre spiritualité.

 

1)- Sacralisé : Rendu sacré par un rite religieux ou une opération de magie. Sacraliser : Présenter un processus aboutissant à la sacralisation.

 

(2)- Vénérable Maître : Digne de vénération, de respect.

 

3)- Sacramentaire : Nom donné au XVIe siècle par les luthériens, aux sectes protestantes qui niaient la présence réelle de l’eucharistie. Nom donné par les catholiques à tous ceux qui ont émis des propositions hérétiques concernant l’eucharistie.

 

4)- Transcendance : Qui franchit… Qui excelle en son genre, supérieur. Qui se rapporte aux conditions de la connaissance, hors de toute détermination empirique.

 

 

 

 

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